LE MÉTIER DE JOURNALISTE SPORTIF EN HAÏTI, ENTRE LE DEVOIR D’INFORMER ET L’INSÉCURITÉ GALOPANTE
La recrudescence de l’insécurité dans le pays alarme et effraie. Dans la soirée du dimanche 16 mars 2020, des tirs sporadiques retentissaient à Port-au-Prince, plus précisément au pourtour du stade Sylvio Cator, et ce en beau milieu d’un match de football de D1 (Cosmopolites SC vs Real Hope FA). Ce scénario a causé la panique générale et inhibé l’activité des journalistes sportifs. Par conséquent, on relève que le travail de la presse sportive demeure compliqué et représente un risque permanent.
Hier soir, dans les coins de Port-au-Prince, la capitale haïtienne et non loin du stade Sylvio Cator, un concerto de tirs d’armes automatiques résonnaient au rythme d’une harmonie parfaite. Et visiblement personne n’aimait y participer à part les musiciens. Par contre, non loin de ce spectacle effrayant, au Stade Sylvio Cator, la 3e journée du CHFP 2020 se déroulait. De là survint une panique généralisée; l’irruption de l’odeur des gaz lacrymogènes a compliqué la tâche de nos confrères journalistes sportifs, venus pour couvrir l’événement. Et certains ont failli même asphyxier.
« Au premier quart-heure du match, j’ai entendu des tirs aux alentours du stade, les fans au niveau du gradin fuyaient afin de sauver leur peau. C’était la panique générale, le pire moment de ma vie.» a déclaré Seide, un journaliste témoin de la situation et victime de troubles respiratoires durant la situation.
En milieu de semaine, des tirs sporadiques retentissaient aux environs de Martissant pendant que des manifestants chaussaient le macadam. Ce malencontreux fait a rendu impossible de nombreuses émissions sportives et la couverture d’événements sportifs importants. Fort de ce constat, l’insécurité qui sévit dans la zone métropolitaine complique, sur toute la ligne, la tâche des journalistes sportifs et fait sérieusement peur.
« Ce mercredi, je ne pouvais pas me rendre à la radio pour assurer mon émission. Je me suis bien préparé et bien vêtu pour mon aventure quotidienne. » a martelé Marc Gorvens Baptiste, journaliste sportif de la radio télé Nativité internationale.
Après s’être bien vêtu pour l’aventure, Gorvens a emprunté la route nationale #1 pour retrouver les locaux de la radio mais l’inévitable arriva.« Je suis arrivé à Fontamara 43, j’ai dû rebrousser le chemin, car des individus ont coupé la route en 2 avec 2 grands bus paralysant toute l’activité de la région » a t-il poursuivi avec la voix huée.
En outre, l’insécurité oblige les journalistes à changer leur quotidien et plonge souvent leur famille dans de profonds désarrois.« Pour réaliser mon émission Golaso, il est très difficile de convaincre ma femme d’accepter que je rentre très tard à la maison. Elle est souvent inquiète que ce soit quand je suis en voiture ou à pied. » a avancé Papin Jean Pierre.
Généralement, les journalistes sportifs font tout leur possible pourqu’ils soient présents une heure avant la tenue de leur émission. Avec la hausse de l’insécurité à laquelle s’ajoute le changement horaire, il est très difficile de prendre la route à l’aube ou quelques heures avant l’émission au risque de se faire vandalisé et dévalisé.
De ce fait, l’insécurité ambiante nuit gravement au fonctionnement des journalistes sportifs. Le championnat national, étant la compétition reine du pays, se joue régulièrement sur fond d’insécurité. Plusieurs faits peuvent en témoigner.
Lors de la première journée du championnat haïtien de football professionnel, le doute planait sur la tenue du match entre l’USR et le Don Bosco FC de Pétion ville car, quelques jours avant la tenue du match, des gangs armés de la région s’entretuaient.
« Même en cas de forte somme donnée par les PDG des médias, les journalistes ne se rendraient pas à Savien pour assurer la couverture de ce match » a martelé Marc Gorvens Baptiste.
« J’ai peur »
Photo-journaliste et PDG de l’agence de presse Infosport Haïti, Luckner a peur de la situation.
« J’ai peur pour mes déplacements afin de couvrir des évènements sportifs. J’ai toujours des matériels valant des dollars américains. Souvent avant chaque événement, je multiplie des contacts pour trouver un endroit près de l’événement pour passer la nuit ou je prends une moto de l’endroit jusqu’à chez moi. »
Souvent, en raison de l’insécurité galopante, Luckner, en dépit de son statut de Président directeur de l’agence, délègue la tâche à d’autres employés de l’agence habitant tout près des zones à risque. Hormis le changement de mode de vie, l’insécurité inflige à certains journalistes sportifs une psychose de peur.
« L’insécurité impacte sur ma production comme journaliste »
Après le risque de couvrir des évènements sportifs de grande envergure, certains journalistes avouent que l’insécurité réduit considérablement leur production. Henrique Orvil, journaliste à RNH et rédacteur à Info Sport Haiti présente l’insécurité comme étant un catalyseur inhibiteur sur sa production journalistique.
« Je ne suis pas un rédacteur d’actualité. À ISH, je ne travaille que sur des dossiers spéciaux, ce qui demande un calme considérable pour être cohérent dans les idées et bien rédiger le texte. Vu la situation du pays, il est difficile de trouver un moment calme. À cet effet, il est très difficile pour moi de me pencher sur des dossiers spéciaux. »
Un Journaliste sportif de renom dans le pays, Jean Pierre Papin n’est pas exempt de cette situation, malgré le fait qu’il n’utilise pas le tap-tap.
« L’insécurité impacte sur mon travail de journaliste sportif, car je ne peux pas regarder les matchs du CHFP. En ce début de saison, je n’ai regardé aucun match », dit-il avec un peu de sarcasme .
L’insécurité oblige certains journalistes à ne plus emprunter l’environnement du stade Sylvio Cator, car ils préconisent que regarder un match dans la région métropolitaine, c’est comme se rendre à la boucherie.
La flambée de violence, résultante de l’insécurité grandissante, inquiète et plonge tout le pays dans une peur bleue. Des journalistes sportifs sont des victimes parmi tant d’autres. En plus, ils ne peuvent pas assurer, pour la plupart, correctement leur métier. Entre changement de quotidien et baisse de production, les journalistes sportifs ne savent pas à quel saint se vouer. Au final, couvrir un évènement sportif dans les contrées du pays relève d’un défi assez conséquent. c’est comme emprunter le couloir de la mort.
Daniel Jean / FOOTKOLE