FOOTBALL – ANALYSE : LE MERCATO HAÏTIEN OU LE MARCHÉ DE LA SURVIE ?
Les transferts de joueurs d’un club à un autre devient l’une des composantes du football moderne et l’un des aspects essentiels de l’économie de ce sport. Son importance dans les résultats et les décisions des clubs est indiscutable. En Haïti, comme partout, le mercato bat son plein à chaque saison. Cependant, une question reste essentielle : quelles sont les principales motivations de ces transactions dans le football haïtien ?
À l’échelle internationale, et principalement dans les championnats européens, le mercato a des enjeux à la fois sportifs, économiques et extrasportifs. Les clubs y voient une occasion de renforcer leur effectif en vue de meilleurs résultats, mais aussi une occasion d’assainir leurs finances ou de réaliser des plus-values importantes. Les transferts peuvent rapporter gros à moyen et à long terme ou permettre d’alléger une masse salariale trop importante. Aussi, le choix de recruteurs spécialisés est-il souvent fait avec soin afin de prendre les meilleures décisions ?
Du côté des joueurs, le choix d’un club peut avoir un aspect à la fois économique et sportif. Primo, tout joueur professionnel y voit un métier qui lui permet de gagner sa vie et de s’enrichir afin de profiter d’une vieillesse dorée après avoir raccroché les crampons. Toutefois, fort souvent, l’aspect sportif joue un rôle majeur dans la décision de porter les couleurs d’une équipe. Les joueurs veulent gagner des titres importants et laisser leurs noms dans les annales du sport.
Quid du mercato haïtien et des joueurs du CHFP ?
Dans le Championnat Haïtien de Football Professionnel, les éléments sus-mentionnés semblent être à un certain degré de l’ordre de l’utopie. D’emblée, le marché des transferts est loin d’être régulé, selon les normes internationales. Entre agents improvisés et transferts tous azimuts à n’importe quel moment et l’absence de normes, les problèmes sont pléthores.
Pour le joueur haïtien, quant à lui, le marché des transferts est parfois une occasion d’assurer sa survie (ne pouvant se permettre de rêver de vieillesse dorée) car, il faut le dire, le football haïtien est à des années- lumière des standards internationaux. L’aspect sportif est le plus souvent négligé et relégué au second rang pour laisser place à la possibilité de survivre. Survivre , oui ! Car les salaires reçus par les joueurs ne leur permettent pas de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Pire, il n’est pas toujours payé régulièrement. Force est de constater que des joueurs quittent certains clubs de renoms pour un club moins prestigieux en raison de la possibilité d’être rémunéré à temps.
Par ailleurs, certains transferts insolites sous d’autres cieux sont de l’ordre de la normalité dans le championnat professionnel haïtien. Par exemple, des joueurs performants dans des clubs de haut tableau rejoignent sans problème des lanternes rouges du championnat ou tout simplement la deuxième division. On peut citer les cas de Dumy Fédé, Peterson Joseph, Emerson Georges ou encore Benchy Estama qui avaient laissé l’élite pour rejoindre le Violette AC en deuxième division. En témoigne aussi le transfert de Guerry Romondt de l’Arcahaie FC (leader de la série d’ouverture du CHFP-20-21, finaliste des play-offs et engagé dans la ligue des champions de la CONCACAF) vers le FICA ( lanterne rouge du championnat) pour la deuxième partie de saison. C’est comme imaginer Ter Stegen jouer la saison prochaine à Huesca!
Ainsi, l’aspect sportif semble laisser le pas à l’aspect économique dans le choix des joueurs lors des périodes de transferts. Un choix qui paraît logique au vue des énormes difficultés financières des clubs et de l’inflation grandissante qui prévaut dans le pays. S’il leur est souvent impossible de se payer le luxe de vivre décemment voire de s’adonner à des loisirs accessibles à un citoyen lambda d’un pays développé, les joueurs du Championnat Haïtien de Football Professionnel doivent donc faire au moins le choix de s’assurer le minimum vital pouvant au moins leur permettre de renouveler leur force de travail. Le marché des transferts devient alors une possibilité d’accroître ses moyens de survie et de pratiquer le sport qu’ils aiment. Pauvres talents qui se pavanent et se vendent à de vils prix au mauvais marché !
Si la télévision leur vend du rêve avec la vie dorée des footballeurs professionnels, la réalité du football haïtien est tout autre. Pour le joueur haïtien, choisir pour survivre, tel semble être la règle.
DOMOND WILLINGTON / FOOTKOLE