Le football Haïtien hanté par le spectre de la superstition
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Le football Haïtien hanté par le spectre de la superstition

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Le football est pratiqué depuis plus d’un siècle. Entre déceptions et amertumes, le foot national a eu son heure de gloire avec notre participation à Munich (Allemagne) au mondial 74. On n’oubliera évidemment pas les sacres du Racing Club Haïtien et du Violette Athletic Club à la Concacaf des clubs (1963 et 1984). Bref, à entendre les discussions entre passionnés, on dirait qu’en Haïti on ne vit que par ça et pour ça. On mange football, on respire football, donc le football est vital en Haïti. Mais pourquoi ce sport si prisé n’arrive pas vraiment à prendre son envol ? Quels sont les véritables problèmes du football haïtien ? Qu’est donc venu chercher la superstition dans le sport ?

Avant d’élaborer, je tiens à informer les lecteurs que mon souci premier est de défendre le football haïtien coûte que coûte et non de crachouiller sur les croyances ancestrales. Je ne suis ni croyant, ni pratiquant ou autre, mais je respecte la liberté religieuse des autres. Mais « Bon Dieu », que viennent foutre les croyances mystiques dans le sport ?

Le sport, à en croire sa définition, est une activité physique exercée dans le sens du jeu et de l’effort, et dont la pratique suppose un entraînement méthodique et le respect des règles. Si je m’efforce à mieux comprendre cette définition, le sport nécessite des efforts physiques, des entraînements minutieux, contrôlés, méthodiques et des règlements préétablis, selon la discipline en question. Le sport est rigueur, travail, force, discipline, apprentissage, motivation. Toute discipline sportive obéit à ces obligations. On n’obtient pas de résultats sportifs sans le respect scrupuleux de ces obligations précitées. Évidemment, le football est un sport. Oui, un sport dans lequel deux équipes de onze joueurs cherchent à envoyer dans le but adverse un ballon sphérique, avec les pieds, la tête ou toute autre partie du corps (excepté la main ou le bras). Donc le football obéit aussi à des règles. Mis à part le côté sportif, le football est une passion qui unit des millions de gens dans un stade, dans un bar, derrière un petit écran. Nous sommes des millions à commenter ce sport fabuleux chaque jour, à chaque match, à chaque compétition.

Quand je regarde les grands clubs, les grandes sélections, j’explique leur succès grâce aux efforts consentis, les moyens humains et financiers disponibles. J’aurais du mal à imaginer le Brésil, l’Allemagne, le Barca, le Real Madrid et tant d’autres gagner autant de titres sans les ressources adéquates. Il serait donc farfelu d’imaginer la France lier son sacre mondial aux forces invisibles/ surnaturelles ou surhumaines.

Certes, je ne peux pas ignorer que tout peuple a ses ‘us et coutumes’ qui lui sont uniques. Notre attachement à nos croyances ancestrales n’est guère différent de celui des Grecs aux dieux de l’Olympe. Mais comment lier les résultats et performances sportifs au surnaturel ? Comment les grands « Loas » peuvent impacter le dénouement d’un match ?

Une pratique assez courante dans le football haïtien où quasiment tous les joueurs et dirigeants se tournent vers cette commode pour de meilleurs résultats sportifs. Une peur bleue chez tout le monde qui le pratique, une désolidarisation des joueurs, dirigeants de football et de fanatiques.

Une méfiance généralisée car le joueur/dirigeant/fanatique a peur d’être frappé par la « poudre ». Je ris toujours quand je vois cette crainte de pénétrer dans les vestiaires de l’équipe receveuse. Carrément, je n’y comprends rien.
Tellement de vécus en D1 et/ou D2. Je me rappelle la route, menant au morne Blanc aux Gonaïves, jonchée de « Wonga » si je peux lui donner cette appellation, des vestiaires où l’odeur n’était pas celle de l’eau de javel, en résumé : un accueil chaleureux pour l’AS Sud Est. Après un match rempli de suspense, d’émotion, de tension, où mon équipe a raté de peu la finale en série d’ouverture, après la séance de tirs au but, une grande autorité de la ville des Gonaïves est venue en personne me chuchoter à l’oreille, me disant : Président, vous avez une très bonne équipe, mais évitez à l’avenir de faire usage de la magie avant de venir jouer aux Gonaïves. Mais quelle honte pour cet homme public.
L’AS Sud-Est est vraiment malchanceuse avec les équipes artibonitiennes, mon utiléo s’est fait agressé verbalement et physiquement par des fanatiques du Tempête FC de Saint Marc, il avait le malheureux job de rester aux vestiaires pour sécuriser le matériel de de mon équipe pendant le match. Pour mon troisième match en D1, l’ASSE gagnait par 3 buts a 0. Du coup, mon utiléo était le bienheureux « Hougan » qui m’a fait gagner le match. À entendre les jurons des Saint Marcois, le non-sens de leurs paroles, j’avais le cœur en nœud mais, mon écrasante victoire me comblait de joie. Le surlendemain, j’ai reçu un appel du secrétaire général du Tempête me félicitant pour ma victoire tout en m’avouant qu’ils avaient, non seulement sous-estimé mon équipe et qu’eux-mêmes étaient mal préparés pour la rencontre. Un fait, point.
Une de mes plus folles expériences fut aux Cayes, un match contre la Juventus FC. Les fans du club se plaignant qu’ASSE était venu jouer sans cage. Le pire, il y a eu un dirigeant cayen qui est venu fouler la pelouse avec un ballon pour conjurer le ” baka” de la cage en tirant plusieurs fois, avec ce même ballon, dans le but de l’équipe visiteuse. Je n’ose même pas répéter les propos qu’avait lancés ce dernier en frappant le ballon. Franchement j’ai ri jusqu’à en perdre la tête, mais du même coup j’avais honte du comportement de ce dirigeant qui s’était ravalé à un tel niveau.

Une honte pour le sport-roi !

Comment avoir des résultats sportifs quand la superstition tend à se substituer au savoir-faire ? Nous le savons tous, le succès sportif est lié aux ressources humaines et financières mises à disposition pour le sport en question.
Les Baka, les Loas, le Bondieu et les autres mystères ne peuvent pas nous aider à gagner un match, aller voir un bòkò ne pourra pas nous aider à améliorer notre performance sportive. Aller voir un hougan, un pasteur, un Bondieu, je ne sois quoi d’autre citer, ne pourra pas empêcher l’équipe visiteuse/ receveuse de gagner si elle est mieux préparée.

Alors pourquoi payer un joueur quotidiennement 100 gourdes, pour certaine équipe et même plus pour certaine d’autre, pour venir s’entraîner si nous avons la possibilité de gagner le match avec l’aide de la mystique. Messieurs, soyons sérieux ! Ne nous donnons pas tout ce mal !

Nous savons tous qu’un travail sans relâche est la clé du succès. Ensuite, les moyens financiers viennent en support. Alors, battons-nous pour un football sain, sans violence ni croyance, où tous les secteurs investissent. Battons-nous pour que le football puisse servir de tremplin à la jeunesse haïtienne.

Il est temps que l’État Haïtien prenne ses responsabilités envers la jeunesse, il est tant que le secteur privé devienne le patron de ce sport. Le football ne peut plus survivre ainsi, il est temps que la graisse du porc ne cuise plus le porc, il faut que tout le monde s’investisse et investisse.

Vive le football, Vive le dur labeur, Vive la jeunesse haïtienne !

Presner Junior David
Ex-President ASSE


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