FOOTBALL – ENQUÊTE : LES JOUEURS AU CHÔMAGE, QUELS MOYENS DE SURVIE ?
Depuis l’arrêt des différents championnats nationaux, certains joueurs sont livrés à eux-mêmes. En d’autres termes, ils sont au chômage. Pour survivre, ils s‘adonnent à d’autres activités économiques ou décident de laisser le pays sans la possibilité de poursuivre leur carrière. Gagner leur vie en Haïti à l’aide des guidons d’une motocyclette est une alternative. Decossa Freedom en est un exemple flagrant !
Aussi malheureux que cela puisse paraître, le football haïtien traverse son moment le plus noir depuis plus de deux ans. Covid 19, insécurité galopante, scandale d’abus sexuels à la tête de la fédération sont, entre autres, des problèmes auxquels les championnats nationaux haïtiens font face.
Nul doute que le sport roi du pays semble être laissé pour mort. Une situation qui met aux abois les joueurs haïtiens qui, livrés au chômage, s’adonnent à diverses activités économiques; question d’assurer leur survie dans une conjoncture où l’inflation bat son plein.
« Une mauvaise chose pour nous »
Decossa Freedom, 28 ans, est footballeur professionnel depuis plus de dix ans. Il évolue au poste de gardien de but au sein de l’America FC des Cayes. Célibataire, mais père d’un enfant, le joueur confesse que cet arrêt des activités sportives dans le pays est un coup dur pour tous les jeunes qui s’investissaient dans ce secteur pour essayer de gagner leur vie.
« Le championnat qui s’est arrêté est une mauvaise chose pour nous en tant que joueurs. Cela était pour nous notre activité professionnelle et économique. C’était aussi notre passe-temps où nous nous évacuons le stress du pays en prenant le chemin du sport », a-t-il d’abord fait savoir.
« J’ai débuté ma carrière professionnelle dès mon plus jeune âge en jouant dans les championnats interscolaires », se rappelle-t-il. Père d’un enfant même s’il n’est pas marié, en absence du football, le gardien de l’America FC était contraint d’entreprendre d’autres activités économiques pour gagner sa vie.
Taxi moto…
« Je n’ai plus d’activités depuis. Pour survivre, j’ai confié une moto à quelqu’un qui fait du taxi. Du reste, cela dépend de mon entourage », confie Decossa qui dit regretter de devoir se trouver dans cette situation en tant que professionnel. Mais, le joueur ne s’était pas fait non plus d’illusions, nous a-t-il avoué.
« Je l’ai toujours dit, le football n’est pas un luxe en Haïti comme il peut l’être dans d’autres pays. C’est un support physique et moral. Je ne parle pas de l’aspect économique puisque cela n’a jamais été respecté dans notre football », affirme le gardien.
Une question d’amour
« J’estime que la plupart des jeunes qui pratiquent le football en Haïti le font par amour. Si tu ne te bats pas pour l’obtention d’un visa, si tu n’es pas d’une famille compréhensive qui te sponsorise, tu risques d’échouer à coup sûr », a laissé croire Decossa qui invite les jeunes à davantage, se focaliser sur leurs études au regard des nombreuses difficultés qui caractérisent le football professionnel haïtien.
Après près de deux ans d’arrêt, les clubs ne pipent mot aux joueurs avec lesquels ils avaient des contrats. « Même en temps normal lorsque le championnat était encore actif, il fallait être influent pour bénéficier d’un bon salaire », a mentionné le joueur de dix ans d’expérience.
« Sans les démarches personnelles d’un joueur qui peut choisir de s’investir dans d’autres activités pour gagner de l’argent et l’accompagnement de ses proches, on aurait déjà pu voir la vraie vie au rabais des footballeurs haïtiens » , a insisté Freedom Decossa.
Plus que les problèmes du pays…
Le gardien de but proche de la trentaine est sceptique quant à la reprise des activités du football professionnel dans le pays. « Je souhaite que cette fermeture du championnat soit le moment idéal pour résoudre de sérieux problèmes auxquels est confronté le football pro », avertit Decossa.
« Je ne souhaite pas qu’à la reprise des activités du football professionnel, s’il y a lieu un jour, que ce soit à l’image d’une restauration des valeurs d’usine d’un téléphone portable, avec les mêmes cadres structurels. Sinon, le championnat national peut bien rester au point mort et nous continuerons à jouer dans les championnats de vacances qui sont, de loin, mieux organisés que le football, dit-on, professionnel » , a-t-il constaté.
En plus de Freedom Decossa, d’autres joueurs que nous avons contactés dans le cadre de ce reportage avaient déjà laissé le pays vers d’autres destinations où ils n’exercent plus au niveau professionnel. Certains ont refusé de commenter par peur de représailles des dirigeants que nous n’avons pas réussi à joindre pour donner leurs versions des faits.
Et quelle sera l’issue finale du sport roi national ?
Filisner DIEUJUSTE & Hermisson HERMINAL, FOOTKOLE